Préface
Par Alain MOREAU
Président de l’Institut International d’Histoire du Notariat.
Vice Président de l’Association Française pour l’Histoire de la Justice.
SOLIDARITÉ
L’annuaire que voici aurait pu être édité sous ce titre, tant la nomenclature des associations qu’il regroupe illustre les
nombreuses manières de servir ses concitoyens. Encore cette liste n’est elle pas exhaustive, l‘imagination humaine
étant, en ce domaine comme en d’autres – hélas ! parfois moins bénéfiques – sans limites.
Cette volonté de s’unir afin de défendre de justes causes, de satisfaire de nobles passions et de s’adonner
en groupe à l’amélioration d’aspects divers de la condition humaine est aussi ancienne ou presque que l’humanité. Elle
embrasse dès l’origine de vastes secteurs des activités philosophiques, intellectuelles ou techniques, depuis des groupements ouvriers que l’on dit remonter à l’époque d’Hiram jusqu’au Académies antiques, en passant par les sociétés culturelles, discrètes ou secrètes, voués à Cybèle ou gardant Eleusis.
Elle survivra à l’effondrement d’empires, à la disparition de civilisations et Rome passera sans qu’elle soit altérée, même si elle doit parfois se faire silencieuse et souterraine. Car tout pouvoir autre que librement désigné craint par sa nature même l’agrégation de ses sujets. En dépit de ces contraintes, et peut-être en partie stimulées par elles, la création et l’activité de ce que le langage du XX° siècle nomme «association» iront bon train.
Le moyen age les verra fleurir, souvent sous le nom de confréries ou de guildes, dont le but ira de l’organisation du salut des âmes à la défense d’intérêts professionnels, le premier de ces deux objectifs étant souvent cumulé, en un second temps, avec l’autre. C’est aussi de tels groupements que jailliront parfois, fut ce maladroitement (mais tout s’apprend !) et avec des conséquences immédiates néfastes, les balbutiements initiaux des libertés Le pouvoir royal aura à leur égard une attitude suspicieuse, dont témoignent le libellé de textes aussi différents que l’ordonnance de Villers Cotterets (1539) et celle de 1629 dite «Code Michau», préférant cependant contrôler plutôt que sévir. Par des décisions directes ou par le biais d’arrêts parlementaires, il jalonnera aussi précisément que possible leur naissance
et leur existence, traçant la voie du permis, de l’interdit, du toléré et du mortel, selon l’adage énoncé par DOMAT «il ne peut y avoir de corps ni de communauté sans la permission du roi». Celle ci sera cependant de temps à autre accordée, ce qu’illustre l’ancienneté de structures communautaires subsistantes de nos jours : hortilloneurs d’Amiens ou maraîchins d’Aunis. L’église soutiendra par ailleurs certaines de ces structures à but caritatif ou de piété.
A compter du règne de Louis XIII, une certaine évolution se produira, d’abord insensiblement, puis avec une accélération préfigurant le besoin de liberté manifesté en 1789.
L’exemple le plus typique en est la création de l’Académie Française, initialement, en 1629, cercle d’amis – ou selon le vocabulaire du XX°siècle «association non déclarée» – devenu en 1634 par la volonté du Cardinal – ministre
institution officielle – «établissement public» pour nos contemporains. Mais le barrage du contrôle ne pourra endiguer indéfiniment la marée montante des idées et de la volonté de sujets résolus à devenir citoyens. Le XVIII° siècle connaîtra donc une expansion / explosion des groupements de personnes entendant pratiquer sous une forme ou une autre la philanthropie ou bien échanger (qu’elles soient d’inspiration religieuse ou laïque) leurs opinions.
La période révolutionnaire présentera une attitude plus ambiguë encore, allant de l’hostilité déclarée à la simple suspicion. Le premier de ces sentiments s’adresse plutôt, il est vrai, non aux associations à objet désintéressé mais au
corporatisme, et générera les textes bien connus de d’ALLARDE et LE CHAPELIER. La déclaration des droits de l’homme, en son article 11, stipule «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi» ce qui exclut toute interdiction d’exister à celles des structures sociales ayant pour but de
permettre un échange dépourvu de tout profit autre que moral. Bien mieux, une loi du 21 août 1790 autorise les citoyens à «s’assembler paisiblement» et à «former entre eux des sociétés libres» La promulgation de ces principes ne doit pas occulter cependant la méfiance persistant à l’égard de la vie associative, qui s’explique au moins en partie
(expliquer n’est pas excuser…) par l’activité des «clubs» et «sociétés populaires», dans le domaine politique notamment, laquelle va bien au delà du débat intellectuel, fut-il agité. Leurs excès mêmes entraîneront leur déclin, puis leur suppression, à laquelle pourvoiront divers textes, non sans incohérence et contradictions.
L’empire retrouvera à l’égard des associations la position de l’ancienne monarchie, accommodée au goût du siècle commençant. Elle sera d’ailleurs plutôt le fait de l’entourage impérial que de Napoléon lui même, qui préfère les structures représentatives, les corps intermédiaires et protègera, par exemple, «la Société d’Arcueil», groupe de réflexion scientifique animé par Laplace et Berthollet. Elle connaîtra son apogée avec les dispositions, promulguées en 1810, de l’article 291 du code pénal, stipulant «Nulle association de plus de vingt personnes dont le but sera de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués pour s’occuper d’objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu’avec l’agrément du gouvernement et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité publique d’imposer…»
Cette situation perdurera tout au long du siècle, tout en subissant une évolution. Elle ira un temps dans le sens de l’aggravation, en vertu de dispositions adoptées par Louis Philippe – les régimes bâtards sont toujours frileux. Après
l’éphémère embelli de 1848 – la constitution de la République du 4 novembre 1848 consacre en son article 4 la liberté d’association – le second empire verra dès 1852 le retour aux dispositions de l’article 291 du code pénal, étant seules
autorisées les sociétés de secours mutuel exception faite pour plaire à Napoléon III, très préoccupé de questions sociales et auteur de la brochure bien connue sur «l’extinction du paupérisme» au texte plein de bonne volonté mais à la célébrité due plus au nom de l’auteur qu’a ses qualités intrinsèques, au plan littéraire
comme à celui des applications concrètes. L’empire libéral, en ses dernières années, reconnaîtra aux coopératives le droit d’exister, puis aux citoyens celui, conditionnel, de tenir des réunions publiques. Surtout, texte important, aux yeux des juristes au moins, sera promulgué la loi du 21 juin 1865 instituant les associations syndicales constituant, bien que sous un vocable trompeur, un pas non négligeable vers la liberté, même si leur objet les restreint à certaines activités non caritatives.
L’autorisation donnée au syndicalisme (1884), puis à la mutualité (1898) de se créer légalement feront ressortir l’obsolescence irréfragable de l’article 291 du code pénal, et l’iniquité du sort fait à ceux qui veulent se regrouper dans un but désintéressé. Aussi, dès 1901, sera promulguée, la loi essentielle, la loi libératrice, donnant sans réserve aux associations le droit à la vie. Seules les congrégations se verront interdire, pour des raisons à la fois historiques, idéologiques et circonstancielles, d’y accéder librement.
L’article premier donne à l’association une définition, «a contrario» de celle de la société, dont le libellé, dans sa simplicité, résume en une ellipse saisissante l’essentiel de l’objectif poursuivi : la mise en commun, permanente, de
connaissances et d’activités, dans un but autre que de partager des bénéfices. Le texte ajoute, précisions non superflues à l’époque, que s’y appliquent les principes généraux du Droit et que la formation en est libre.
L’objet du contrat de l’action, est tel que la structure associative ne peut s’épanouir ou seulement subsister que si des individus, en nombre important, participent à ses travaux et lui apportent un soutien, y compris au plan matériel,
suffisant pour lui permettre d’exister. La noblesse de l’idéal recherché – «autre que de partager des bénéfices» – doit être révérée, mais non occulter la réalité. En ce monde, rien ne se peut sans un minimum de moyens financiers, les quelques exceptions rencontrées ne faisant que confirmer la règle.
C’est dans cette aide, ce soutien, dont l’efficacité coexiste avec une discrétion qu’ils recherchent – parfois trop pour le bien de leur profession – que nombre de Notaires prouvent au quotidien combien ils sont à la fois conseils avisés,
désinteressés et gens de coeur. Magistrats des contrats librement consentis, le regroupement volontaire d’individualités dans le but de servir ne peut que les attirer. C’est pourquoi le présent guide intéressera chacun d’entre eux, selon ses affinités, le notariat comptant nombre de personnalités ayant, en des orientations fort variées, une vie intellectuelle et spirituelle intense.
Cette diversité est heureusement combinée à une éthique qui constitue l’une des forces essentielles du corps notarial. Axée sur le volontariat et en quelque sorte innée, ses caractéristiques constituent sa supériorité à l’égard des systèmes
basés uniquement sur un corporatisme ordinal.
Le sentiment de liberté qui en résulte constitue en soi une raison supplémentaire – raison du coeur – de soutenir
la vie associative. Celle ci n’est-elle pas, comme l’histoire le démontre, la soeur de la démocratie !
Alain MOREAU †